Réflexions d’un prêtre de Bordeaux :
Non essentiel
La crise sanitaire qui nous frappe est décidément un révélateur cruel de
ce que devient notre monde ou de ce que nous avons fait de lui. Pour
nous protéger du virus, il nous est demandé de nous limiter à
l’essentiel. Le non essentiel est renvoyé à plus tard. Mais la question
est de savoir ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. De savoir
aussi qui est habilité à décider de cela.
Il ne sert à rien d’accabler nos dirigeants de tous les reproches car
nous avons les dirigeants que nous méritons ; ce que décident nos élus
n’est que le reflet de ce que nous sommes collectivement devenus. Ils
sont le reflet de ceux qui les ont élus. Or les vagues successives de
nouvelles réglementations sanitaires sont, sur ce point, révélatrices :
ce qui est décrété essentiel c’est manger, boire, se soigner, se
défendre, travailler.
Circonscrire ainsi l’essentiel aux fonctions végétatives ainsi qu'à la
production et la consommation, voilà qui en dit long sur la société que
nous avons construite ou plutôt que nous avons laissé se dégrader au fil
des décennies. Si nous ne résistons pas à cette pente, nous risquons
fort de ressembler tôt ou tard au hamster qui court dans sa roue sans
savoir pourquoi il court. Mais enfin, au moins il court... Si nous n’y
prenons pas garde, la peur pourrait bien nous conduire à classer dans le
tiroir "non essentiel" ce qui pourtant constitue le cœur de toute vie
véritablement humaine.
Lorsqu’un homme se sent en danger, il est prêt à accepter beaucoup de
concessions, de privations de liberté et parfois même de perdre sa
dignité uniquement pour rester en vie ou garantir sa sécurité. Est-ce de
ce monde-là, de cette vie-là, dont nous voulons ? Sommes-nous prêts à
payer notre sécurité au prix de notre dignité ? Ce sont les pensées qui
envahissaient mon esprit mardi soir en découvrant comme vous que les
offices religieux seraient limités à 30 personnes. Un rapide calcul me
faisait penser que si la cathédrale de Bordeaux était un supermarché,
elle pourrait accueillir 580 personnes. Hélas, elle n’est qu’une
cathédrale... on n’y vient que pour prier, pas pour consommer : sa
capacité sera donc limitée à 30 personnes. Il nous faut regarder en face
cette dure réalité : nous sommes devenus non essentiels...
En 1943, lorsque l’on proposa à Winston Churchill de couper dans le
budget de la culture pour soutenir l’effort de guerre, il répondit par
cette question : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? ». Lire un
livre, aller au théâtre, offrir des fleurs mais aussi prier, chanter,
célébrer : autant d’activités apparemment non essentielles et pour
lesquelles il vaut la peine de se battre si nous ne voulons pas d’une
vie réduite aux seules fonctions animales.
Pourquoi nous battons-nous si ce n’est justement pour ne pas tomber dans
une vie qui ne serait que survie ? Pourquoi nous battons-nous si ce
n’est pour défendre ce qui fait notre dignité ? La dignité d’un homme se
joue précisément dans sa capacité à ne pas se recroqueviller sur sa
seule survie, à savoir regarder plus haut et résister à sa pente
animale, à cultiver le non essentiel, à estimer que sa vie vaut plus que
sa seule survie.
Lorsque je fais la relecture d’une année écoulée, ce qui émerge du flot
continu de mes multiples activités, ce sont presque toujours des moments
non essentiels : une marche en montagne, un livre qui aura nourri ma
vie intérieure, un dîner partagé avec un ami, les heures passées à
cultiver mon jardin ou à soigner mes abeilles, un concert dont les notes
enchantent encore ma mémoire... J’en suis convaincu, ce qu'il restera
de nous, à la fin, c’est le non essentiel.
Jésus est « non essentiel » aux yeux du monde. D’ailleurs, ses parents
n’ont pas trouvé de place à Bethléem et cet enfant est né dans une
étable. En marge. Non essentiel... Jésus est même le non essentiel par
excellence ; celui qui vient nous libérer de la tyrannie du nécessaire,
de l’utile et du rentable. Jésus est celui qui nous révèle que c’est
précisément dans cette part non essentielle, rejetée et méprisée que
nous sommes sauvés ! La prière est non essentielle ; aux yeux du monde,
elle ne sert à rien et, à l'évidence, on peut très bien s'en passer.
Mais ce qu'il restera de nous, à la fin, c'est le non essentiel...
Et si Noël, cette année, nous apprenait à accueillir, à aimer et à
chérir plus que tout cette part non essentielle de nous-mêmes sans cesse
rejetée à la marge de nos vies. Et si Noël, cette année, nous rendait
notre âme et la joie de vivre !
« La pierre qu’on rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » Psaume 117, 22
Abbé Pierre Alain Lejeune du Diocèse de Bordeaux
lundi 28 décembre 2020
L'ESSENTIEL ET LE NON ESSENTIEL
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